La relation patient victime de l’industrialisation des soins

Dans le système actuel de la santé, la relation avec le patient est un « supplément d’âme » laissé à la charge des soignants qui croient encore au sens de leur métier. Tel est l’un des constats posés lors du forum organisé le 8 juin au CHUV par l'Institut des humanités en médecine (IHM).

« N’est-il pas révélateur d’organiser un forum sur la place de la relation patient dans les soins médicaux, alors que cette relation est inhérente aux métiers de la santé ? », a déclaré d’entrée Stéfanie Monod, professeure titulaire à l’Université de Lausanne.

Abordant la question sous un aspect concret, Béatrice Schaad, professeure titulaire à l’IHM en relations hospitalières, a présenté quelques récentes statistiques du CHUV. Un espace de médiation a été ouvert en 2012 et quelque 5000 témoignages ont déjà été recueillis. « Ce lieu fonctionne comme un laboratoire de production de données sur l’insatisfaction générée par l’hôpital », a-t-elle résumé. « Les usagers repèrent des dysfonctionnements qui échappent à tout autre outil de veille de la qualité, comme les questionnaires de satisfaction. »

Traité comme une « vieille chaussette »

L’enregistrement des doléances est basé sur une classification reconnaissant 88'000 motifs d’insatisfaction, avec trois grandes sous-catégories : la clinique, le management des soins, la relation avec les soignants. Force est de constater que la relation est le point de discorde le plus fréquent. Il est question de manque d’égards, d’écoute déficiente, de défaut d’empathie, de perte de dignité ou même du sentiment d’être traité « comme une vieille chaussette ». « Pour les patients, être écouté, c’est être soigné », affirme Béatrice Schaad.

De façon intéressante, les patients qui sollicitent une médiation craignent souvent de faire l’objet de « représailles », tandis que les soignants sont enclins à percevoir les plaignants comme « difficiles ». Une étude interne a montré que les premiers médecins invités à participer à une médiation avaient tendance à considérer les plaintes relatives à un problème de communication comme quelque chose de « mineur » ou de « second ordre », comme si la relation était moins importante que la technicité des soins.

Dans certains cas, il semble que la plainte relève d’une sorte de malentendu. Par exemple, à une époque, les patients se plaignaient d’entendre le personnel rire dans les couloirs. « Après analyse, on a compris que les soignants manquaient de locaux pour pouvoir se raconter des choses entre eux, il n’y avait rien d’agressif envers les patients dans ces conversations », se souvient Béatrice Schaad. Enfin, on observe un phénomène en augmentation : les soignants, eux aussi, se plaignent. De plus en plus souvent, en effet, ils disent être l’objet de violences physiques ou psychologiques de la part de patients.

Protéomique, transcriptomique & Co

Stéfanie Monod a poursuivi sur cette médecine moderne qui s’intéresse au bon fonctionnement des organes du patient considérés séparément. « L’avènement de la biomédecine a entraîné le développement d’une quantité d’hyperspécialisations – génomique, protéomique, transcriptomique, métabolomique et j’en passe – avec des promesses de progrès permanent qui renforcent les attentes des patients en matière de performances. » Parallèlement, les soignants sont devenus des fournisseurs de prestations et les patients des clients, des bénéficiaires ou des résidents ». Tous ces mots trahissent l’aspect transactionnel des soins dans le système de santé actuel.

Quant aux prestations, elles doivent être quantifiables et chiffrables pour pouvoir faire l’objet d’une tarification. Quid de la relation ? « On peut en trouver une trace dans le système TARMED, dans les cinq premières minutes d’une consultation qui comprennent les salutations, un échange verbal et le possible accompagnement du patient vers l’assistante médicale. Le pire exemple, pour moi, se trouve dans le catalogue des prestations d’aide et de soins à domicile : 5 minutes pour lever le client du lit, 15 minutes pour l’aider à s’habiller et 10 minutes pour l’accompagner aux toilettes. Clairement, dans ce système, la relation est un supplément d’âme laissé à la discrétion des soignants qui croient encore au sens de leur métier. Si elle existe encore, c’est grâce à ces soignants qui la font vivre en prenant sur eux cette responsabilité. »