Expérimenter

La maïeusthésie ou la réjouissance thérapeutique

Depuis 35 ans, Thierry Tournebise a formé quelque 20 000 stagiaires à la maïeusthésie, une approche thérapeutique subtile qui repose sur des entretiens guidés non directifs.

Au dire de celles et ceux qui l’ont pratiquée, la maïeusthésie permet des résolutions très rapides. Avec ce paradoxe qu’elle ne cherche pas à guérir… Cette approche reste relativement méconnue. Il faut dire que Thierry Tournebise, qui a aussi forgé le concept de «psychologie de la pertinence», pour lequel il réfute le terme d’inventeur, a toujours refusé de se mettre au premier plan. Pour la Revue de santé intégrative, il a accepté de revenir sur la genèse de la maïeusthésie à laquelle il a consacré sept livres et plus d’une centaine d’articles.

Comment est née la maïeusthésie?

Thierry Tournebise: Avec ma femme Danielle, nous avons eu quatre enfants et j’ai coutume de dire que la maïeusthésie, c’est notre cinquième. Nous l’avons conçue tous les deux aussi, mais celle-ci, c’est moi qui l’ai portée. Elle est le fruit de cinquante ans de partages et de thérapies. Danielle a été garante de la zone de sensibilité et moi plutôt de l’aspect structuration du propos, théorisation. La maïeusthésie, c’est l’art d’être touché par la vie qui émerge et en cela je me sens très proche de l’haptonomie et de son fondateur, Frans Veldman (mode particulier de présence à l’autre surtout utilisé pour créer un lien entre parents et enfants pendant et après la maternité, ndlr). Si on ne l’aborde que de façon intellectuelle, la maïeusthésie ne fonctionne pas.

Est-ce que vous pourriez définir en  quelques mots votre méthode?

Ce n’est pas une méthode! Ni un protocole – les protocoles aident le praticien mais nuisent à la thérapie car ils éloignent de la vie et de la rencontre. Ils éloignent donc le thérapeute de son patient. Il s’agit d’une approche qui traite de communi- cation, où les interlocuteurs comptent plus que les informations. La maïeusthésie traite aussi de thérapie, où les symptômes ne sont pas des cibles à abattre mais des « portes» à emprunter. Le thérapeute ne cherche pas à apaiser son patient, mais tente de le rejoindre là où, en lui, sa conscience est attendue en vue de reconnaissance et de validations.

Pourquoi ce terme de maïeusthésie?

Le mot évoque l’idée d’être sensible au fait que l’autre est en gestation et en accouchement de lui-même. J’ai déposé le terme de maïeusthésie en 2000, quand des personnes que j’avais formées se sont mises à parler de «méthode Tournebise»… Ça me paraissait déplacé et présomptueux. Mais aucune approche n’est absolue et comme la plupart des psychopraticiens que je forme ont déjà un parcours dans les soins, je les encourage à être créatifs. Il ne s’agit pas de rallier la maïeusthésie mais d’être intégratifs, pour œuvrer dans le sens de la vie avec tous nos outils.

C’est dans ce sens que vous avez forgé le concept de psychologie de la pertinence?

Oui, car il permet de pratiquer la maïeusthésie sans se sentir enfermé dans une méthode. On n’essaie pas de combattre les symptômes comme en psychopathologie – laquelle cherche à les identifier, pour corriger les dysfonctionnements biologiques ou mentaux posés par le DSM. On ne tente pas non plus de contourner le symptôme grâce à une ressource, comme le propose parfois la psychologie positive (un bel outil d’ailleurs, qui mobilise des ressources du patient, mais sans s’occuper de ce que contient la psyché). En psychologie de la pertinence, le symptôme est comme un signe qui indique que quelqu’un appelle en vue d’être réhabilité au cœur de la psyché. Le symptôme montre le chemin vers cet être de soi (plutôt que «part de soi») qui attend reconnaissance et validations de la part du patient.

Concrètement, comment le praticien accompagne-t-il cette reconnaissance?

Le thérapeute considère que la ressource se trouve dans ce qui appelle l’attention et c’est cela qu’il va mettre un grand soin à rencontrer, grâce à un entretien guidé mais non directif. Tout ce qui émerge dans la séance contribue à l’identifier: il peut s’agir d’une expérience passée, d’une émergence transgénérationnelle (en séance on peut rencontrer un-e ancêtre), voire transpersonnelle. On ne cherche pas à rassurer l’être qui émerge dans la thérapie, on l’accueille de manière inconditionnelle. Pour cela, le thérapeute valide ce qui a été éprouvé: une peur, une angoisse, un vertige, une phobie sociale, une pulsion, alimentaire ou autre, etc. Il le valide aussi dans sa dimension: «à quel point» ceci a-t-il été ressenti? Une fois, une dame m’a dit: «C’est tellement intense que même l’infini ne pourrait pas le contenir.»

Il ne s’agit donc pas de retraverser des événements pour s’en libérer?

Surtout pas, car la reviviscence peut être dommageable. La maïeusthésie ne s’intéresse pas à la mémoire (qui est une trace des faits) mais au mémoriel (qui est une trace des êtres qu’on a été). On est dans le registre de l’expérientiel, pas du souvenir. Il ne s’agit pas non plus de «s’imaginer l’être qu’on a été» mais de le rencontrer. S’il a été mis de côté car trop chargé émotionnellement, il va pouvoir être récupéré parce que le thérapeute et son patient l’entendent, le valident et lui accordent sa place.

C’est un peu une réintégration?

Oui, on pourrait aussi parler de reconnexion avec ce qui a été séparé, ce qui n’est rien d’autre que le mouvement naturel de la vie. Parfois, on aboutit plutôt à un déploiement, dans le cas où celui ou celle que le patient a été à un moment de sa vie n’a pas pu se déployer. La thérapie donne à cet «être qui n’a pas pu advenir» l’opportunité de devenir ce qu’il avait à être. Je rejoins le psychologue humaniste Abraham Maslow qui espérait que les praticiens ne seraient pas des gens qui guérissent des maladies, mais qui accompagnent les patients pour devenir ce qu’ils ont à être – sachant que ce qu’ils ont à être est concomitant avec ce qu’ils sont. On pourrait presque dire que la maïeusthésie, ce n’est pas autre chose que restaurer un état communicant, c’est-à-dire ouvert, entre le patient aujourd’hui et celui qu’il a été à un autre moment de sa vie.

Et le symptôme? Vous ne cherchez  pas à le faire disparaître?

Le symptôme ne disparaît pas parce qu’on aurait guéri une maladie. Il disparaît parce qu’on a accompli ce à quoi il servait: accueillir ce qui appelait à être entendu. Le thérapeute échappe au «je veux» et au savoir préfabriqué. Sa posture repose sur le tact psychique, en ajustement permanent, et amène une reconnaissance existentielle des «êtres de soi» qui émergent chez son patient. Cette rencontre produit naturellement une réjouissance, qui est elle-même une source thérapeutique. On pourrait presque dire de la maïeusthésie que c’est une thérapie par la réjouissance.