Expérimenter

À la rencontre d’Épione

Les Rencontres d’Épione font écho aux publications de la Revue de santé intégrative et prolongent les réflexions qu’elle contient en proposant tant à ses rédacteurs qu’à ses lecteurs de se retrouver le temps d’une journée de partage d’expériences, d’échanges et d’amitié. La première rencontre que nous avons eue nous a permis de soigner les sens de soigner. La prochaine nous permettra de partager en toute convivialité nos manières singulières de composer avec l’incertitude de l’existence et de ses aléas.

Les Rencontres d’Épione

À l’initiative du comité de rédaction de la Revue de santé intégrative, un groupe de soignants, soignés et proches concernés s’est constitué dans le but de lancer et d’animer un espace de rencontre pour soigner et revitaliser le sens de soigner au sein de notre société. Placées sous le signe d’Épione, déesse mythique qui veille à soulager les souffrances des vivants, ces rencontres se veulent ouvertes à toutes celles et ceux qui souhaitent raviver l’esprit et les sens du soin de soi, d’autrui et du monde dans lequel nous vivons. En d’autres termes, elles donnent à leurs participantes et participants l’opportunité de soigner les sens de soigner pour laisser s’exprimer la quintessence de leur propre savoir-être soignant. Chacune de ces rencontres est souhaitée singulière, cousue main, dans la mesure où ce sont les participants et participantes qui l’expérimentent, la bricolent, lui donnent forme et élaborent le sens de soigner qu’ils souhaitent incorporer et exprimer pour eux-mêmes ou pour l’institution du soin de notre collectivité. Ces rencontres ont également pour objectif de donner l’impulsion à un appel à soigner, en écho aux nombreuses expériences évoquées dans les différents numéros de la Revue de santé intégrative. Elles ne visent pas à « faire école » en transmettant un quelconque savoir (sciences) ou un savoir-faire (compétences) spécifiques, mais uniquement à « faire écho » au savoir-être dans l’interaction du soin et à en expérimenter les effets pour soi et pour autrui.

La première Rencontre d’Épione
Pour soigner le sens de soigner

C’est le 14 juin 2024 que s’est tenue la première Rencontre d’Épione dans le cadre évocateur de l’Hôtellerie franciscaine à Saint-Maurice. C’est donc sous le signe d’Épione, entourés de fresques relatant les allégories du Cantique des créatures de François d’Assise en conversation avec les oiseaux, « Frère Soleil », « Soeur Lune », « Frère Vent », « Soeur Eau », « Frère Feu » et « Soeur notre mère la Terre », que nous nous sommes retrouvés et avons échangé pour soigner le sens de soigner. Citoyens, patients, proches, soignants, aidants, pairs… nous nous sommes réunis sans réel programme ni contenu, juste avec le plaisir d’allier et bricoler des moments d’échange en plénum, de partage autour d’un repas pris en commun et de trois espaces d’expérience, au contact de la terre, de l’évocation du savoir-patient ou du jeu des évocations en domino sur le sens de soigner. Hors des sentiers battus du savoir, de la technique ou du savoirfaire expert, nous avons arpenté les horizons de cette aptitude vernaculaire et profane des êtres vivants à soigner à l’aide de leur seule présence et l’évocation de leurs expériences singulières.

Durant ces rencontres, très vite est apparu le sentiment que cette sortie des sentiers battus du savoir et de l’expertise permet de nous libérer de l’a priori d’imposture face à « la » science que porte une telle démarche et de revitaliser et réanimer l’institution du soin sacrifiée à l’autel du grand marché de la Modernité. La relation de soin, la souffrance et le soulagement, nous en avons tous été convaincus, ne sont pas des marchandises à vendre, mais des actions inhérentes aux êtres vivants, animés et sentants.

Il est donc vite ressorti, au fil des échanges, que soigner ne serait fondamentalement pas une question de savoir, de technique ou d’expertise, mais d’expérience et de disposition à accompagner un être vivant souffrant dans l’attente d’un soulagement. Soigner, c’est être relié à l’autre, être à ses côtés avec pour seul langage celui de l’attention bienveillante, de la sollicitude à son égard lorsqu’il est en difficulté. Il ne s’agit donc pas de savoir, ni d’interpréter, ni de manipuler comme le fait à juste titre le médecin à propos de la maladie qu’il traite, mais uniquement d’être là, présent dans l’instant à sa propre vitalité et totalement attentif à l’autre en tant qu’être vivant. Une présence et une attention qui ne sont pas des constructions de la pensée et de la technique du comportement, mais qui s’éprouvent et se ressentent dans l’instant de l’être vivant.

Si la philosophie est l’art de donner du sens à l’existence en faisant de la pensée le siège de son expérience, il s’agit, dans l’action de (se) soigner, de faire du ressenti et de la relation à l’autre le siège de l’expérience éprouvée dans l’instant présent. En d’autres termes, c’est d’une philosophie de l’expérience immédiate de l’action de (se) soigner qu’il s’agit et non de cette prise de distance qu’implique la tentative de raisonner un sens ou une explication. Soigner, c’est être relié avec sollicitude à l’autre et à l’environnement, c’est-à-dire dans une disposition de présence et d’attention bienveillante envers lui ou elle.

L’acte de soigner opère dans cette alliance explicite entre l’être qui attend un soulagement de sa souffrance et celui dont l’intention est d’offrir sa présence avec sollicitude. Une présence porteuse de cette seule intention explicite suffit si souvent à ce que le patient, celui qui souffre, éprouve le soulagement qu’il espère. Au fil de ces échanges sous l’impulsion d’Épione, nous nous sommes accordés sur le constat que c’est bien cette disposition de l’être à soigner autrui, ou lui-même, dans la relation qui soigne, soulage et permet à celui qui souffre de composer avec ce qui cause sa souffrance. Le remède ou le médecin ne savent, de leur côté, que traiter la maladie ou la blessure pour elles-mêmes.

Plusieurs d’entre nous ont fait part de leur préoccupation face à un système de santé qui réduit à peau de chagrin le temps à disposition pour la relation de soin. Mais à y regarder de plus près, les échanges nous ont néanmoins mis face au constat que la force de l’acte de soigner ne réside pas dans sa durée ou sa quantité, mais bien dans sa qualité et son intensité. Combien de personnes ont en effet pu éprouver la puissance apaisante de l’instant d’une main sur une épaule, d’une main prise avec sollicitude, d’un regard ou d’une parole échangés, et de vérifier ensuite la permanence de l’empreinte que ces gestes ont pu laisser.

Si, à elle seule, la présence attentive et bienveillante auprès de la personne qui souffre la soulage et l’apaise, soigner relève donc d’une activité vernaculaire ou profane du vivant pouvant se déployer dans toute forme de relation, et non d’une technique experte acquise et réservée à quelques sachants. Une aptitude inhérente aux êtres vivants qui ne se transmet pas par un savoir livresque, ni par l’imitation d’une technique à acquérir ou l’aptitude à ressentir ce que ressent l’autre, mais par simple maternage, c’est-à-dire par l’art d’une simple présence attentive, bienveillante et soutenante qui se transmet de personne à personne et de génération en génération. L’intégrisme rationaliste de notre société moderne nous a conduits à nier autant l’évidence de la vertu thérapeutique d’une simple présence auprès d’autrui empreinte de sollicitude, que celle du monde vivant à s’adapter aux aléas de l’existence. Cette première Rencontre d’Épione a finalement servi à réhabiliter les vertus apaisantes de cette simple présence empreinte de sollicitude. Elle fut aussi l’occasion pour Épione de nous rappeler la nécessité de préserver les liens entre les êtres vivants et le monde vivant dans son ensemble, c’est-à-dire avec les oiseaux, « Frère Soleil », « Soeur Lune », « Frère Vent », « Soeur Eau », « Frère Feu » et « Soeur notre mère la Terre ».

Combien de personnes ont pu éprouver la puissance apaisante de l’instant d’une main sur une épaule, d’une main prise avec sollicitude, d’un regard ou d’une parole échangés, et de vérifier ensuite la permanence de l’empreinte que ces gestes ont pu laisser.