Hommage

Hommage à Jean Richard

« Cette simplicité, chez lui, était feuilletée comme on le dirait d’une pâte. »

Celles et ceux qui façonnent cette Revue, et qui l’éditent, pleurent Jean Richard, disparu le 21 juin dernier. Il s’était impliqué dans les débats internes de la publication comme dans ses colonnes où parurent notamment, dans son deuxième numéro, quelques pages de sa plume qui resteront dans les mémoires. Il y décrivait de façon cristalline le cancer de la moelle osseuse qui l’avait frappé voici quelques années. Or cette simplicité, chez lui, était feuilletée comme on le dirait d’une pâte. Dans son texte, bien sûr, il nous représentait le plus objectivement possible le mal qui le travaillait. En le situant dans sa réalité finement détaillée, et dans son processus ponctué d’aggravations et de suspensions au fil des semestres.

On pressentait pourtant, en le lisant, que notre ami n’avait pas atteint la conscience de ce constat quasiment technique sans avoir exploré tout autant les bouleversements provoqués dans sa sensibilité, et dans sa pensée, par l’événement physique malmenant son corps. C’est en quoi Jean continuait de s’accomplir comme on peut le dire d’une oeuvre artistique. Il était un, en effet, au sens de l’indivisible, comme il convient de l’être pour maintenir la cohésion de notre personne face aux circonstances de notre destin. Mais il choyait en proportion symétrique ses multiplicités intérieures en s’acharnant à percevoir, sans relâche, les correspondances supérieures pouvant lier ses expériences quotidiennes à leurs effets les plus impalpables.

Ainsi put-il écrire, dans cette Revue même, que sa moelle osseuse avait décidé de « rompre avec les rimes et les rythmes de la création du sang ». Ou que « la poésie se loge au plus profond de nos cellules qui partent parfois en vrille. » Ou que l’accompagnement de « cette anarchie » physiologique peut devenir « l’oeuvre de notre esprit, de notre âme et de notre corps. » Et surtout, cette phrase d’où monte entre les mots une autoconsolation sublime : « Je suis porté par la vie qui me dépasse. Quelle source d’énergie ! » Ainsi chemina celui qui n’aura cessé de publier des ouvrages en professionnel de haut vol, d’abord chez Zoé puis dans le cadre des Éditions d’en bas. Des livres comme des enveloppes terrestres, en somme, pour qu’y soient pareillement glissés les élans d’une force immatérielle. Pas d’artisanat mieux ajusté pour lui, et peu d’exemples plus fraternels pour nous qui poursuivons nos chemins sur les ici-bas tourmentés.