Bricoler

Se rétablir, retrouver un équilibre et du sens

Suite à un événement tragique, Manon a vécu un traumatisme qui a progressivement trouvé un sens par la création d’un court-métrage et d’une association, permettant ainsi de diffuser un message d’espoir au plus grand nombre.

L’expérience vécue et le rétablissement, racontés par Manon.

Le choc

J'étais dans ma chambre quand un de mes proches m’a annoncé le décès soudain d’une amie avec qui j’avais grandi. Ce fut pour moi un choc. Une perte violente à laquelle je ne m’attendais pas. À l’époque, j’avais 16 ans. Je n’avais finalement envie que d’une chose, me sentir bien et sortir avec mes amis. Cependant, je me suis retrouvée à devoir vivre avec cette nouvelle. À ce moment-là, je ne me rendais pas compte des étapes par lesquelles j’allais devoir passer. Je me sentais très triste, submergée d’émotions. Je me demandais : « Comment est-ce possible que cela nous arrive à nous ? » J’avais l’impression que ce genre de choses ne se passait que chez les autres, pas dans ma famille. Ce jour-là, je me suis pris une baffe !

Le déroulement

Des nuits à ne pas dormir, des nuits à pleurer… Je me souviens surtout d’une soirée au camping avec des amis où j’étais passée de la joie aux larmes d’un seul coup sans raison particulière. Des nuits à me questionner sur le sens de la perte que j’avais vécue. Tout était flou et mon amie me manquait simplement. Je me rappelle aussi avoir galéré à l’école, notamment devant un examen de mathématiques. J’étais devant ma feuille avec l’impression d’avoir tout compris et d’avoir bien réussi mon examen. Pourtant, en relisant ma copie deux minutes avant de la rendre, je me suis aperçue que j’avais mélangé tous les chiffres. Ce type d’incident s’est produit plus d’une fois ; mon cerveau me jouait des tours, comme si la réalité était faussée. Mes années d’études ont été dures. Pendant cette période, je me suis sentie soutenue par la médiation scolaire et par l’un de mes enseignants en particulier. Mais pour beaucoup d’autres personnes, il était difficile de donner des conseils ou même des ressources. Un coup, je ne dormais plus du tout et il me fallait prendre des antidépresseurs ; un autre, je m’endormais subitement en m’évanouissant pendant une journée de travail. Puis, des défis sont apparus dans mes relations. Tout cela m’a laissé des marques, à un jeune âge. Je n’en avais pas conscience à l’époque. J’ai compris bien plus tard que j’avais vécu un stress post-traumatique.

Le rétablissement

La route pour prendre la décision d’aller voir « un spécialiste », « quelqu’un », a été difficile. Cela m’a pris plus de trois ans. Pourquoi ? Je crois que j’étais jeune et que je n’avais pas envie qu’on me colle une étiquette. De plus, je pensais pouvoir m’en sortir sans cela. Avec mes amis, ma famille, ça irait ! À un moment donné, je me rappelle avoir demandé à ma mère de suivre une thérapie. Mais la recherche n’a pas été simple, j’ai dû voir plusieurs psychologues avant d’en trouver un qui me convenait. Je suis retournée chez lui plusieurs fois pour diverses crises. Puis, en grandissant, j’ai découvert d’autres ressources : reiki, yoga, méditation, kinésiologie, médecin traitant, ostéopathie, etc. Petit à petit, j’ai compris que tout était connecté. Mes propres introspections et des ressources comme la nature, les pauses, la musique pouvaient m’aider à aller mieux et à récupérer de l’énergie. Tout cela, je l’ai découvert progressivement en avançant dans mon parcours, explorant les hauts et les bas dans ma vie. La spiritualité m’a aussi apporté quelques pistes. Cela me rassurait de me dire que je n’étais pas vraiment seule, contrairement à ce qu’on ressent dans ces moments-là. Aujourd’hui, je n’ai pas peur de dire que je prie et que je crois en un univers bien plus fort que nous et qui, dans les moments où nous nous sentons terriblement seuls, peut apporter du sens et de l’aide. J’ai aussi réussi à inverser ma façon de voir la vie, en croyant de nouveau que j’avais de la chance et que de belles choses pouvaient m’arriver. De nombreux amis m’ont également permis de retrouver qui j’étais ; les plus proches, mais d’autres, également, que j’avais rencontrés lors de voyages à l’étranger. Ma famille a aussi été un soutien précieux, bien qu’il ne soit pas toujours évident d’aider un proche. Ma mère, travaillant dans le milieu sanitaire, m’a montré le chemin dans un système de santé compliqué. Sa présence a été fondamentale.

Le dévoilement

Si on me demande : « Pourquoi en parler maintenant, des années après ? » je crois que la réponse est assez simple. Je veux que mon expérience serve à d’autres, résonne en eux. Je veux que cela puisse aider d’autres personnes qui sentent leur santé mentale fragilisée. On a parfois besoin d’un peu d’espoir et de quelques ressources mises en lumière. Il me tient à coeur de parler de santé mentale, et finalement, quoi de plus inspirant qu’une histoire qu’on a vécue soi-même ?

La création d’un projet concret en équipe

De l’expérience de Manon est née la volonté de la partager auprès du plus grand nombre, mais de quelle façon ? Cela aurait pu se faire à travers un livre ou un documentaire, mais finalement, le projet s’est orienté vers un format de poème audiovisuel. Pourquoi ce choix ? L’envie de transmettre l’émotion, mais également de sortir du côté trop pédagogique que peut parfois revêtir la promotion de la santé mentale. L’idée de créer une association pour porter ce projet a émergé ensuite comme la meilleure option, après de multiples échanges sur des thématiques de santé mentale, soutenus par l’évolution professionnelle de chaque membre fondateur de l’association et la volonté de produire quelque chose de tangible. L’association allait ainsi permettre de donner forme au partage d’expérience de Manon. Elle a été créée en février 2022, sous le nom « ProSam », avec en perspective la réalisation du poème audiovisuel L’Aurore d’un espoir avec une société de production lausannoise. Nous avons commencé par autofinancer une vidéo de promotion de notre projet pour soutenir nos démarches de recherche de fonds. Après avoir obtenu le soutien d’une fondation, nous avons pu commencer le travail avec l’agence de production. Des discussions, des soirées à réfléchir… Pour passer du témoignage brut au poème audiovisuel et aux dialogues, il a fallu penser la structure du film avec les principaux personnages qui ont entouré Manon à cette période de sa vie. Certaines sources de soutien étaient essentielles et il fallait donc les mettre en lumière. Il était également important de représenter les personnes qui ont été peu soutenantes. De nombreux allers-retours entre l’équipe de production et celle de ProSam ont été nécessaires afin d’affiner et d’ajuster le discours pour le rendre proche du vécu de Manon, mais également pour délivrer des messages de prévention. Un doctorant spécialisé dans les thématiques de santé mentale a apporté son soutien à l’agence de production durant cette phase. Nous avons ensuite recruté des acteurs et actrices, et choisi les lieux de tournage. 

« J’ai beaucoup aimé le court-métrage et la discussion qui a eu lieu après. C’était très enrichissant et courageux de parler aussi de leur santé mentale. »

Manon et son entourage ainsi que des membres de l’association étaient présents durant la réalisation du film. Manon raconte : « Le tournage fut une expérience unique pour moi. Vivre ces moments de création et de réflexion pour écrire le scénario était déjà toute une aventure. Pas si simple, mais tellement enrichissante ! Ensuite, les jours de tournage étaient intenses, je me suis retrouvée dans certains lieux qui m’étaient familiers, comme mon ancien collège. Quelle sensation étrange que de se retrouver dans ce lieu treize ans après ; on n’est plus la même personne ! Enfin, mes proches ont aussi participé. Plein d’émotions se sont donc mêlées aux scènes dans lesquelles ils sont intervenus, nous rappelant certains moments vécus ensemble. J’ai aussi joué dans quelques passages le rôle de la Manon d’aujourd’hui. Quel hommage rendu à une période de ma vie bien difficile ! C’était magique d’une certaine façon, bien que difficile et confrontant pour ma famille et moi. Nous avons été positivement marqués par cette expérience. »

Après plusieurs mois de montage entre impatience et espoir, le court-métrage nous a été transmis et nous avons été subjugués ! L’agence avait totalement compris l’âme du projet et avait réussi à la retranscrire en images de manière puissante et juste. 

Pour diffuser le court-métrage, deux expositions ont été organisées par l’association en 2023. Elles ont exploré la thématique de l’art et de la santé mentale dans une approche communautaire, avec des programmes similaires, mais adaptés à chaque lieu d’exposition.

La première a eu lieu en juin 2023 à l’Hôtel de Ville de Bulle. En plus de la projection du court-métrage, des performances artistiques ont été proposées au public : un illustrateur a réalisé des dessins en direct tout en partageant ses réflexions sur la santé mentale et un collectif de danse krump a présenté une chorégraphie riche en émotions. Des stands interactifs animés par des étudiants en soins infirmiers, des artistes et des membres de l’association ont offert un espace d’échange, avant une table ronde réunissant des professionnels et des personnes concernées.

« Les témoignages étaient particulièrement émouvants. J’ai appris qu’il faut vraiment prendre soin de sa santé mentale ! Pourmoi, l’importance de la santé mentale devrait déjà être abordée ou enseignée dès l’école primaire au même titre que la santé physique au travers des cours de gymnastique. » Personne ayant participé à l’exposition qui s’est tenue à Bulle. 

En octobre 2023, l’exposition a déménagé à Lausanne, à la Maison de la culture Pyxis, et s’est inscrite dans le cadre de la Mad Pride TRANSFORMATIONs. L’Aurore d’un espoir y a été projeté à deux reprises et l’exposition a été enrichie par la participation d’une peintre et d’une photographe, qui ont exposé leurs oeuvres et expliqué comment leurs expériences personnelles influencent leur art. Un moment d’échange après chaque projection a permis d’approfondir la discussion sur la santé mentale, rassemblant professionnels, personnes concernées et public. 

En mai 2024, l’association a porté son message au-delà des frontières culturelles, avec une diffusion à Winnipeg, au Canada. Cet événement a été organisé dans le centre de santé communautaire NorWest Co-op. La projection de L’Aurore d’un espoir a été associée à une exposition photographique sur la résilience réalisée par une chercheuse de l’Université du Manitoba, suivie d’une discussion avec le public.

En quoi notre expertise de partage d’expérience est-elle utile ?

Tout d’abord, Manon, à travers son témoignage, incarne une forme de résilience et de courage face aux défis liés à la santé mentale. En partageant son expérience dans un court-métrage, puis lors des échanges avec les visiteurs et visiteuses des expositions, elle a transformé un parcours personnel difficile en un projet porteur de sens. Ce processus valorise les savoirs issus du vécu et offre une manière concrète de donner la parole à celles et ceux qui se sentent isolés face à des difficultés similaires. 

Pour les personnes concernées par des troubles psychiques ou des parcours marqués par des traumatismes, témoigner peut être une source précieuse d’espoir et de réconfort. Cela humanise les luttes invisibles propres à la santé mentale et montre que le rétablissement – même partiel – est possible. Les expositions et le film L’Aurore d’un espoir ont donné à chacune et chacun un moyen de se reconnaître, de se sentir moins seul et parfois même de découvrir de nouvelles ressources pour avancer. L’art, utilisé comme outil dans ce processus, peut offrir une forme de soutien thérapeutique et ouvrir des perspectives inattendues.

« Je suis très heureux d’avoir trouvé votre invitation. J’ai trouvé votre présentation pertinente, à la fois pour mon propre travail, mais aussi personnellement ! Je suis heureux d’être venu. »

Ces initiatives ne profitent pas seulement aux personnes directement touchées : elles sont une opportunité pour le grand public de mieux comprendre les enjeux de la santé mentale, de développer de l’empathie et de contribuer ainsi à réduire la stigmatisation. En découvrant des récits de vie authentiques, il devient plus facile d’identifier les signaux de détresse chez ses proches et de savoir comment les accompagner. 

Les échanges proposés par ProSam offrent également une richesse particulière aux professionnelles et professionnels de la santé et du social. Le partage d’expérience vient compléter l’approche clinique, en apportant une compréhension fine des ressentis, des besoins et des attentes des personnes qui vivent ces situations. Ces témoignages éclairent la manière dont les parcours de vie influencent les trajectoires de soins et le processus de rétablissement. 

En conclusion, l’approche communautaire portée par ProSam, qui mobilise l’art comme vecteur de prévention, a démontré toute sa pertinence. Elle permet de transmettre des messages profonds d’une manière vivante et engageante. Les expositions à Bulle, Lausanne, et leur diffusion jusqu’au Canada montrent à quel point cette démarche peut générer une forte implication émotionnelle. Cela favorise la mémorisation des messages de prévention et renforce l’impact des actions menées. En développant cette expertise, ProSam contribue à faire du partage d’expérience un véritable levier de transformation, à la fois individuelle et collective.